Les 3 piliers du « parfait » budoka
La perfection est quelque chose vers quoi l’on tend mais on sait dès le départ que l’on n’y arrivera jamais. C’est la Voie. A travers la Voie nous évoluons dans 3 domaines bien distincts au départ, et avec le temps et la pratique, ces 3 domaines fusionneront. Chaque « vrai » pratiquant martial va évoluer au fil des années, des décennies de pratique pour se forger et tenter d’atteindre le graal : la perfection. A travers cette quête martiale, chacun développera les 3 piliers essentiels à sa réussite : Shin Gi Tai
Shin Gi Tai (心技体) c’est quoi ?
- Shin : Esprit – Ciel
- Gi : Technique – Terre
- Tai : Corps – Homme
Définition rapide
Le concept Shin Gi Tai (ou Sanmi-ittai) regroupe les 3 piliers essentiels pour atteindre l’efficacité dans les arts martiaux traditionnels classiques (Budo). C’est uniquement en fusionnant ces 3 piliers que l’on peut « sentir » la manifestation de la « Voie » (Do).
Définition de l’encyclopédie des arts martiaux
Shin Gi Tai est indissociable de la pratique des arts martiaux japonais. Ces trois mots japonais se traduisent en français par Esprit, Technique et Corps. Ces composantes doivent être développées toutes les trois en permanence lors de la pratique d’un art martial même si avec l’âge les capacités physiques auront tendance à décroître alors que la technique et le mental seront meilleurs.
Il existe plusieurs niveaux de lecture en ce qui concerne les principes de Shin Gi Tai, comme pour tous les autres principes des arts martiaux. On peut les voir en notion “séparées” quand on débute : on va apprendre la technique, développer son corps et travailler son esprit.
Tai : le corps – Homme
La méthode pédagogique d’apprentissage du JUDO passe par des répétitions inlassables de techniques dans des positions idéalisées ce qui conduit à un renforcement du corps. UCHI KOMI et KATA par exemple.
Le corps doit être en bonne santé, souple et musclé. C’est le « côté sportif » de la pratique de l’art martial (assouplissement, musculation) qui doit s’accompagner d’une bonne hygiène de vie et d’alimentation. Elle peut se compléter par une préparation physique spécifique car le corps guidé par l’esprit reste l’outil de la technique.
Gi : Technique – la terre
Les nombreuses répétitions de ces mouvements seul Tendoku Renshu ou à deux Uchi Komi Katas et tous les Geiko, nous amènent à une meilleure dextérité; exécution technique plus précise, plus fluide, mieux connectée, plus puissante, plus rapide… donc plus efficace .
La technique, quel que soit l’art martial pratiqué, se développe par la répétition. « Mille heures pour forger, dix milles heures pour polir » pour citer Miyamoto Musashi. Il ne s’agit pas d’une simple répétition mécanique, mais d’une répétition consciente avec recherche de sensation avec des phases de réflexion sur le travail effectué pour toujours progresser. Le rôle du Maître est alors primordial pour guider son Elève dans la bonne direction. Le partenaire de travail est également vecteur de progrès par un échange constructif continu : « entraide et prospérité mutuelle » selon Jigoro Kano
Shin : l’esprit – le ciel
On travaille sur la façon de placer l’esprit; on se recentre « ici et maintenant », dans une opposition l’esprit doit être partout sans se fixer nulle par, la Souplesse, l’Adaptation. On travaille sur ses peurs et ses angoisses : on fait face. Face à l’autre, face à soi-même. C’est un travail d’épure, l’attaque adverse n’est qu’un geste que l’on doit débarrasser de tout ce que l’esprit qui vagabonde peut lui associer. Ainsi l’action que je déciderai sera limpide. Enfin Shin c’est le spirituel, la pratique polit l’esprit. L’entraînement assidu rend humble, courageux, loyal, patient, respectueux. Notre pratique guerrière conduit à la paix.
L’esprit représente le développement du mental dans le sens de l’engagement, du courage et de la capacité de concentration. Cet aspect se développe par la persévérance du pratiquant à pratiquer quotidiennement tout au long de sa vie, à répéter ses techniques et à les appliquer en combat malgré la fatigue et la douleur. Le pratiquant peut compléter sa pratique par la méditation ou par des exercices de visualisation pour parfaire le développement de son mental.
Tout cela devient SHIN GI TAI
On peut se rendre compte que ces notions peuvent être liées dans l’action, elles sont essentielles dans l’étude des zones vulnérables du corps humain, basé sur la médecine chinoise Kyusho pour rendre les attaques efficaces.
– Le “tai” peut correspondre à la position du corps que je dois prendre pour développer l’énergie pour pouvoir attaquer le point.
– Le “gi” peut correspondre à la technique utilisée (forme de main,angle…).
– Le “shin” peut correspondre à l’intention qui est fondamentale dans le travail des kyusho.
Evidemment il existe d’autres visions des choses et je pense que chacun interprète le “shin”, “gi”, “tai” en fonction de son niveau et de ce qu’il recherche
Au final, Shin Gi Tai ne font plus qu’un lors de l’exécution d’une défense qui jaillit comme un éclair : le corps et utilisé de façon optimale dans une technique parfaite avec un engagement mental complet.
Cette quête personnelle d’unité pour chaque pratiquant passe par les heures où l’on s’exerce à “faire “et à “faire encore “dans le cadre d’un travail sincère et assidu. Shin gi taï ichi est un principe que le travail régulier au dojo met à l’épreuve. L’idée devient alors une sensation. C’est pourquoi il m’est difficile de mettre des mots sur des choses qui sont du domaine du ressenti à l’entraînement … En parler c’est conceptualiser et donc, à mon sens, un peu réducteur.
ATTENTION
Trop de Shin et vous n’êtes plus qu’un prédicateur, trop de GI et vous n’êtes plus qu’un technicien et trop de Tai et vous n’êtes plus qu’un sportif. C’est la conjugaison des 3 qui vous permettront de progresser vers d’autres sommets et qui vous dévoileront l’expertise martiale.
Pour finir cet article j’ai demandé à master Dani Faynot de nous expliquer sa vision de Shin Gi Tai à travers les arts martiaux Philippins : Le Arnis Kali Eskrima.
Shin Gi Tai et les arts martiaux Philippins ARNIS KALI ESKRINA
[…] ” Le « Shin Gi Tai », avec tout ce que cela implique de valeurs et représentations sociales, est un concept éminemment japonais, car ce n’est qu’une extension dans le context spécifique du Budo d’une représentation du monde, d’une cosmogonie de la société japonnaise.
Par contre, la notion de l’unité de « l’esprit, de la technique et du corps » est fondamentalement un concept universel des arts martiaux car elle nait d’une réalité et surtout d’une nécessité. Par essence, tous les arts de combat cherchent à tirer avantage de tout ce qui peut faciliter ou faire tendre vers la victoire et dans les formes de combat les plus pragmatiques, vers la survie.
Plus une forme martiale est proche de la survie et plus elle tend à intégrer des éléments facilitateurs, des strates d’action actives ou passives, plus ces trois concepts seront présents, pressants et inter-liés.
Observons ces notions en miroir des Arts martiaux Japonais.
Dans les arts de combat Philippins, le « Shin » est appréhendé sous la forme de la religion, du rapport individuel à Dieu, puisque l’Arnis et l’Eskrima sont fondamentalement encrés dans la foi chrétienne et le Kali plus souvent dans l’Islam. Il ne s’agit pas d’une action sur soi comme dans le Bouddhisme ni d’une action en regard de la société comme pour le Shinto. Pour l’Arnisador, la sphère spirituelle c’est avant tout de reconnaitre que notre sort est entre les mains de Dieu: « Inch’ Allah » ou « Ainsi soit-il ». De même, la spiritualité est très fortement encrée dans les croyances mystiques, shamaniques et magique, voir la sorcellerie. La plupart du temps, toutes ces notions sont intégrées et non-visible sans un décryptage; c’est pour cela qu’elles coexistent et se renforcent avec la religion.
« Gi », la technique est directement associée à l’efficacité immédiate. Il ne s’agit pas d’une accumulation de techniques précises que l’on doit peaufiner mais de la compréhension intuitive d’un mouvement changeant et furtif par essence. C’est pour cette raison que la technique fondamentale est le « flot » l’enchainement des techniques et la lecture adaptative aux attaques. Si le Budo aime l’ordre, la technique Philippine se plait dans le chaos et le désordre. Si le geste juste est le maitre mot du Budoka, la sensation est la ligne directrice des arts philippins.
« Tai », le corps, ou plutôt la base motrice, est secondaire dans les arts philippins car l’arme efface l’avantage physique. Contrairement aux Budo Nippon, l’apprentissage n’est pas pyramidal. L’Arnis ne s’appuie pas sur le corps pour maîtriser sa technique, puis sublimer sa pratique. L’Arnis est « tombé du ciel », ici et maintenant, tout de suite. L’apprentissage se fait par la technique et le corps s’adapte progressivement tout en se renforçant, en intégrant la douleur. La vitesse se développe pour bloquer les attaques en réaction. Il ne s’agit de frapper de plus en plus vite mais de bloquer de plus en plus vite puisque l’enseignement est donné traditionnellement du maître d’arme à son élève dans un apprentissage individuel. Un indice visible est l’absence d’échauffements ou de préparation physique en Arnis traditionnel.
La notion de Shin Gi Tai implique, dans le Budo, que les trois éléments doivent être maîtrisés ensemble, tout comme dans les arts Philippins. La différence c’est que l’Arnis ne «construit pas de maison par étage». Les trois notions ne sont ni intellectualisées, ni conceptualisées, ni séparées, ni même identifiées, mais enseignées comme une évidence et par nécessité.
Et tout comme l’Arnisador commence par apprendre le combat avec les armes avant de songer à maitriser le combat à main nues, le maitre d’arme commence à sonder la profondeur de l’âme et à vérifier que son élève sache prier avant de commencer à lui enseigner le combat.
Ensuite c’est bien l’arme qui devient notre premier moyen de développement : L’esprit de la terre qui est restée dans le rotin, l’âme de l’acier prisonnier de sa forme. C’est encore l’arme qui dicte le niveau de vigilance, son poids qui forge nos qualités musculaires, nos tendons, la forme de nos blocages et de nos angles de frappe. Aux armes, et cætera…” […]
MAITRE Dani Faynot